Chronique d'Aks : Éthique et Esport
Ces derniers jours vous retrouvez souvent les mots Éthique et Sport dans les colonnes des journaux nationaux. Qu’il s’agisse d’articles sur le comité éponyme, sur l’éthique dans le foot ou bien encore sur l’organisation des Jeux Olympiques, la notion d’intégration de l’éthique dans le sport ne semble déjà pas naturelle, alors qu'en est-il du sport électronique ? L'esport étant un marché encore assez jeune, ses acteurs manquent d'expérience dans ces domaines et certains directeurs de structures, peuvent être tentés par l’appât du gain plutôt que par le respect de leurs joueurs ou de certaines lois.
Place à la fiction : Un jeune directeur d’une écurie e-sportive que nous appellerons Robert crée des liens avec un jeune talent évoluant pour le moment dans le subtop : ZowYy. Quelques semaines ou mois d’échanges privés permettent à Robert d’amadouer ZowYy. Un contrat est signé, très avantageux pour le jeune homme puisqu'il peut enfin vivre de sa passion. Derrière cette première promesse se cachent des clauses libératoires, des conditions de mises sur le banc, etc. ZowYy sait lire un contrat, mais ne sait pas le négocier, pire encore il a peur que cette chance lui passe sous le nez, il signe, devient joueur professionnel et n’a plus qu’à prier pour ne jamais rencontrer de difficultés avec son contrat sous peine de finir comme notre ami Smooya.
Si vous êtes familiers avec le milieu du football, il ne vous semble pas choquant que des clubs misent sur des jeunes joueurs pour le revendre quelques mois/années plus tard quelques millions d’euros. Notez que ces joueurs ont des rémunérations bien souvent suffisantes pour vivre dans de très bonnes conditions puisqu’ils sont entrainés et utilisés par leurs clubs au pire dans des divisions inférieures. Pour finir, ces joueurs sont protégés par une fédération reconnue par l'état.
Dans l’univers e-sportif, cette pratique est nouvelle et les premiers abus ont été dévoilés récemment avec l’affaire Epsilon, où Smooya a été mis sur le banc, privé de la majeure partie de son salaire et privé d’opportunité de jouer ailleurs par une clause de "buy out" trop importante. Si je comprends bien l’intérêt pour Epsilon de faire signer ce genre de contrats, la méthode et le manque de considération pour l'avenir du joueur semblent laisser à désirer. Nota bene, à ce jour nous n'avons eu que la version de Smooya.
Début septembre Against All Authority recrutait les Wisyx et par la même occasion la star montante Mathieu"ZywOo"Herbaut. D’après nos informations, une « clause libératoire » suffisamment raisonnable a été fixée pour que le joueur ne se retrouve pas bloqué indéfiniment dans cette structure, ce qui l’empêcherait probablement de poursuivre son ascension ou pire le faire atterrir dans une équipe avec laquelle il ne souhaiterait pas évoluer, mais qui serait la seule à pouvoir l’acheter.
Les objectifs d'aAa et Epsilon semblent similaires : se protéger des départs de joueurs impromptus puisque le dialogue est obligatoirement ouvert avec la structure et miser sur un nouvel axe de développement pour améliorer les résultats financiers de leurs structures (TL;DR : gagner de l’argent). Comme depuis toujours ils font jouer des équipes (ce qui est indispensable à l’obtention de revenus) et plutôt que de se faire « piquer » leurs joueurs et de se retrouver coincés, ils prévoient de gagner de l’argent quand une équipe sera intéressée et de se laisser l'option de racheter un joueur plutôt que de laisser tomber la line-up. Toutefois, dans le cas d'Epsilon, la gestion des joueurs "sur le banc" paraît abusive...
Mais comment contrôler les abus ? Qu’est-ce qu’un abus ? Où sont la limite légale et la limite éthique ?
Légiférer semble très compliqué : la législation change suivant les pays et une fédération type FIFA semble compliquée à mettre en place. De plus, actuellement certains contrats français ne sont pas légaux, puisqu’il n’existe pas de Fédération reconnue les permettant comme d'autres sports traditionnels. Un contrat ne peut être cassé et/ou requalifié que devant un juge. Cela prend du temps et ce n’est pas dans l’intérêt des joueurs ni des structures de rentrer dans ce genre de batailles juridiques longues et coûteuses. Côté Éthique, la mise en place d'un comité international dans lequel siègeraient des représentants d'équipes du top, éditeurs, organisateurs et équipes du subtop - plus susceptibles de commettre ce genre d'abus - semble la solution idéale, mais relève du registre de l'utopie.
Il reste la partie « humaine » et pour cela il faut des intermédiaires. J’imagine bien volontiers des agents de joueurs faire ce genre de conseil, mais les contrats entre les joueurs et leurs consultants/agents pourraient eux aussi être concernés par des abus, surtout que pour le moment le nombre d’agents disponibles est encore faible. Mais cela reste à ce jour la solution la plus viable. Si des joueurs professionnels nous lisent et cherchent à être conseillés, trois (à ma connaissance) sociétés françaises existent : LnL Consulting, Marty Agency et ioneo.
Alors ? Pas de solutions ? On est tous foutus ? Pas obligatoirement.
Pendant 18 ans la communauté de Counter-Strike a réussi à s’autogérer presque totalement bénévolement, avec des compétitions, des structures, des sites d’actualités, etc. Pourquoi ne pas proposer ce genre de service de conseil de façon bénévole, au moins pendant un temps, le temps que la concurrence s’installe dans les sociétés d’agents de joueurs et de consulting, ce qui permettra que les rendez-vous de séduction agents/joueurs soient suffisamment informatifs pour que le joueur puisse prendre la bonne décision.
Pour terminer, je ne saurais que trop conseiller à tous les joueurs professionnels ou en passe de le devenir de se faire accompagner, de poser des questions et de mettre en concurrence les conseillés, qu'ils soient du milieu e-sportif ou non. Quand je parle de conseil, ce n'est pas valable que pour les contrats, l'optimisation fiscale des revenus ou de l'optimisation de chiffre d'affaires, bien que cela soit essentiel. Il s'agit aussi de prendre en considération ce qui va changer dans votre vie en devenant joueur professionnel, ce que va engendrer le succès ou l'échec dans vos têtes et dans vos vies. Personne n'a appris à Mathieu "Maniac" Quiquerez qu'une descente aux enfers de presque deux ans sans véritable équipe et salaire était possible et encore moins comment surmonter ces épreuves, il est certain qu'il aurait aimé être préparé à ce genre de situation. Enfin pour reprendre des chiffres fournis par le site internet de Ioneo : 78% des sportifs sont en faillite 2 ans après leur retraite sportive. Ce genre de chiffre montre l'importance du conseil pour préparer son avenir.
En attendant, si vous vous posez des questions, vous pouvez me contacter sur Twitter et si votre question est dans mon cadre de compétence je me ferai un plaisir de vous répondre.