LoWkii : "Vouloir vivre le rêve d’être joueur pro en France reste encore très utopique"
Ancien joueur de l’équipe Limitless ou bien encore membre de la Paris Gaming School, Théo "LoWkii" Téchené a accepté de répondre aux questions de Flickshot.fr. Le temps d’un instant, il revient sur sa carrière, l’évolution de l’esport et sur la scène tricolore. Avec quelques surprises au rendez-vous. Première partie de l’interview, à retrouver immédiatement…
Comment as-tu découvert Counter-Strike, plutôt qu’un autre jeu ?
C’était il y a très longtemps… c’était au collège, pour la première fois, avec des amis à moi. On avait acheté le jeu pour s’amuser. C’était vraiment en mode : « on joue une fois par semaine, rien de plus ». Ensuite, j’ai commencé à vraiment m’y intéresser quand j’ai su qu’il y avait des compétitions. J’ai été à une toute petite LAN sur Bordeaux, j’ai débarqué le samedi à 14h, avec mon ordinateur portable sous le bras : « Salut les gars, je peux jouer avec vous ? ».
Et là, surprise : on m’a expliqué qu’il fallait avoir une équipe ! Ce qui n’était pas le cas à cette époque pour moi… mais voilà, ça m’a permis de véritablement découvrir l’univers de Counter-Strike et qu’il fallait effectivement avoir une équipe pour participer aux compétitions. Après, j’ai pas mal joué avec mon ancien demi-frère, aussi. Au fur et à mesure, je me suis fait des potes sur le jeu. Mes potes « irl » jouaient plutôt à Dofus (rires) !
Il y avait d’autres jeux qui te plaisaient à cette époque ?
Disons que j’étais pas mal « console » au début quand même : j’ai eu plein de consoles du type PlayStation, XBOX, GameCube, Nintendo DS… j’adorais ça, vraiment. Mais quand j’ai découvert CS, j’ai tout vendu et je me suis acheté un PC. Du coup, je ne m’intéressais plus qu’à CS. Et un petit peu à Dofus, aussi, mais ça il ne faut pas trop le dire (rires) !
Pour beaucoup de joueurs, il y a quelques problèmes avec l’entourage au départ. Cela a été ton cas ?
Disons qu’au début, ce n’était pas forcément accepté par tout le monde. A part par ma grand-mère qui me disait en douce : « Allez, c’est bon, tu peux jouer un petit peu ! ». Pour elle, tant que ça restait du loisir en sortant des cours, ça allait : seulement, il ne fallait pas que ça devienne quelque chose qui me prenne jusqu’à jouer toute la nuit. Pour le reste de ma famille, le jour où j’ai gagné ma première compétition (en rapportant un peu d’argent par la même occasion), ça a permis de faire évoluer les mentalités – et de démontrer que ce n’était pas seulement une « perte de temps ».
Aussi, j’ai su démontrer que je voulais toujours conserver mes études en tête : je ne considérais pas que CS était « mon avenir ». Même quand ça marchait plutôt bien, et que j’avais une vraie perspective de rejoindre le niveau professionnel, ma famille était présente pour me mettre en garde et m’expliquer que cela ne pouvait pas me garantir une « assurance vie » pour autant. Il fallait surtout partir du principe que cela n’allait pas forcément durer.
Tu as toujours voulu assurer tes arrières…
Oui, parce que c’est quelque chose de très ancré dans ma famille, même du côté de mes amis proches. Quelque part, il y avait toujours ce petit truc dans ma tête qui me rappelait : « S’il faut tu vas percer, mais s’il faut, pas du tout… ». Vraiment, je remercie du fond du cœur ma famille et ma bande de potes pour ça. Ça a été important de les avoir à mes côtés pour me rappeler l’essentiel et me permettre de suivre ma voie. Ils étaient les premiers à me dire « Aujourd’hui, c’est cool, tu voyages un peu, tu gagnes un peu d’argent, mais fais attention ». Et cela ne les empêchait pas de m’encourager pour autant. Cela m’a permis de mûrir plus vite.
Ensuite, j’ai eu l’exemple de certains joueurs qui ont vécu des moments très difficiles durant leur carrière. Comme DEVIL, par exemple : il a eu cette belle proposition de la part d’EnVy, cela a duré plusieurs mois et puis il s’est retrouvé sans rien à la fin… Ensuite, il est retourné chez LDLC. Puis, rien à la fin, encore une fois… Finalement, tu te rends compte que durant ces périodes où tout va bien, certes, tu peux mettre un peu d’argent de côté, mais cela reste très « friable » pour assurer son avenir malgré tout. Donc, de mon côté, je n’avais clairement pas envie de me retrouver dans une situation où je n’ai que mon bac en poche, en ayant tout donné pour CS. Vouloir « vivre » le rêve d’être joueur professionnel, en France, cela reste encore très utopique à mes yeux. Après, on voit qu’avec beaucoup de travail et d’investissement, on peut quand même toucher son rêve de près, et pourquoi pas le concrétiser ? Regarde 3DMAX en ce moment, on n’est pas loin de ça.
Justement, quand tu regardes 3DMAX, une équipe avec des joueurs avec lesquels tu as déjà joués, tu n’as pas des regrets d’arrêter maintenant ? Tu penses que c’est le « bon moment » ?
Franchement, je me dis que j’arrête au meilleur moment possible. Même, si, oui, l’exemple 3DMAX pourrait nuancer un peu mes propos. Mais pour être clair, je pense que j’arrête au bon moment parce que la scène française se trouve dans un « bordel » absolu aujourd’hui. Il y a trop de problèmes - d’ego, d’affinités – qui font qu’il est compliqué de monter un projet qui pourrait ressembler à ce que fait 3DMAX, par exemple.
Cela fait plusieurs années qu’on se côtoie au quotidien avec toute la scène, qu’on joue ensemble, et même si on n’a pas joué avec tel ou tel joueur, on a quand même un avis sur lui d’après les fameux « échos », ou d’après les « rumeurs ». En ce moment, j’essaye de conseiller quelques joueurs, quelques amis, et je me rends compte vraiment de la difficulté pour constituer un projet stable. Trop de joueurs ne veulent pas jouer avec untel ou untel. Et puis, le problème majeur en France reste l’investissement des structures vis-à-vis de Counter-Strike.
C’est vrai, il semble que ça soit très difficile de trouver des sponsors pour du CS en France
Clairement, oui. Du coup - nous, les joueurs - on se retrouve à devoir envisager l’optique de partir chez des équipes internationales. Et pour ma part, je ne suis pas du tout fan de cette possibilité. Quand on était chez Limitless, ou même chez PGS (la « Paris Gaming School »), on a reçu des propositions avec des salaires à 700$, 800$... mais j’ai été vraiment horrible sur ça, j’étais fixé : c’était impossible qu’on rejoigne ce genre de structures. J’ai eu l’expérience chez EPSILON, et j’ai très bien vu comment ça fonctionnait ; toutes ces structures qui se permettent de profiter de la situation (et de la « distance », des rapports plus « distants ») pour ne pas payer leurs joueurs. Juridiquement, cela reste très difficile de faire valoir ses droits.
Ensuite, malheureusement, en France, j’ai l’impression que les grosses structures (hormis LDLC) ne sont pas vraiment motivées pour se lancer sur Counter-Strike. Vitality, GO : ils regardent la situation actuelle, mais ils veulent une « vraie équipe » pour le haut niveau, ou alors pas une équipe française. Mais le problème, c’est qu’ils ne semblent pas prêts à mettre l’argent nécessaire pour monter une équipe du top mondial. Ensuite, les petites structures ne peuvent pas encore assumer autre chose que l’hébergement et le déplacement des joueurs, mais ce n’est pas suffisant aujourd’hui pour passer en full time et rivaliser avec les meilleurs sur la durée. Donc, je pense que j’arrête vraiment au bon timing. Je ne peux pas savoir combien de temps cela prendra pour que « tout » cet écosystème se consolide véritablement.
Et finalement, durant ma carrière, je m’étais toujours plus ou moins mis le cul entre deux chaises : d’un côté, mon envie de percer sur CS, et d’un côté mon désir de pousser au maximum mes études. Ex6Tenz me l’avait déjà dit de toute façon, je m’étais plus ou moins « grillé » à un moment. Aujourd’hui, tu ne peux pas avoir 10 000 chances sur CS. Si tu ne montres pas que tu es prêt à tout donner pour performer, les gens vont le savoir, et tu auras de moins en moins de propositions intéressantes. Moi, je n’ai pas toujours eu la motivation nécessaire pour franchir le cap supérieur et rejoindre le très, très haut niveau. J’ai la sensation d’avoir beaucoup donné malgré tout, mais j’avais d’autres objectifs à côté.
C’est pour cela que tu avais rejoint la PGS ?
A la base, on avait fait deux bootcamps là-bas en tant qu’inconnus complets. Le premier s’est bien passé. Le deuxième a été merveilleux, à tous les niveaux ; que ce soit au niveau de l’ambiance, de l’atmosphère - des relations avec les membres de l’école, ou même avec les élèves - on s’est vraiment régalé. C’était des supers moments au niveau humain, vraiment très agréables. Du coup, quand l’aventure avec Limitless s’est terminée, on s’est appelé avec le directeur, Gary. Il s’est donné comme conviction de ne jamais mettre des sous dans une équipe sous le nom de PGS ; parce qu’il sait pertinemment qu’une grosse équipe peut faire de l’argent, mais certainement pas une petite. A moins de parvenir à faire un gros résultat (façon 3DMAX) et à vendre les joueurs derrière à une autre structure, et encore, je ne suis même pas certain que cela rentabiliserait tout l’investissement réalisé pour arriver jusqu’à ce « gros » résultat, justement.
Gary, lui, nous a proposé d’investir son argent personnel pour ne pas nous laisser dans une sale situation, et surtout pour qu’on puisse bouger en LAN. De son côté, ça lui permettait de faire un petit peu de « contenu » sur son site, et de faire un peu de pub pour son école. Du notre, on devait simplement essayer d’être le plus performant possible. J’ai trouvé cette proposition intéressante parce que cela nous permettait de profiter des locaux de l’école et d’avoir une ambiance de travail plus « professionnelle ». Certains joueurs ont besoin de ça pour progresser ; pour s’impliquer véritablement dans un projet. Quand ils sont chez eux, ils peuvent se retrouver à être moins productifs et moins concentrés. La vie en communauté te permet de rentrer dans un vrai rythme de travail, et de mieux appréhender le développement d’une équipe.
Tu penses que l’avenir d’une grosse équipe passe par l’acquisition d’une Gaming-House, ou du moins par un centre d’entraînement mis à disposition des joueurs au quotidien ?
Complétement, oui, c’est « l’avenir », comme tu dis. Mais de mon expérience personnelle, il faut faire très attention tout de même. Pourquoi ? Parce qu’il faut diviser les locaux en plusieurs parties, et pas seulement une énorme partie dédiée à l’entraînement et au gaming. Le problème de la Gaming-House, c’est que tu peux vite te retrouver les uns sur les autres, et il faut pouvoir être « fort » mentalement pour résister à ça. Même si cela peut paraître superficiel pour certains, ce n’est pas toujours si simple de devoir composer avec les caractères des uns et des autres. Même au sein d’une équipe.
Cela avait été un problème pour shox à une époque, comme pour d’autres
Oui, et je comprends shox, franchement. Même si on a tous une passion commune, un rêve commun, on peut être très différents dans la vie de tous les jours. Comme partout, il y a des mecs un peu plus solitaires, et d’autres un peu plus ouverts. Des plus âgés, des plus jeunes. Réunir tout ce mélange dans une maison (pendant une longue période), cela peut amener à certains conflits, même si cela représente le meilleur environnement pour travailler.
Ensuite, tu peux vite te retrouver avec un mauvais rythme dans une Gaming-House. Car finalement, cela ressemble à ton quotidien à domicile : ton PC se retrouve à côté ton lit, ou du moins pas très loin… Donc, il faut faire très attention à trouver le « bon équilibre ». Et surtout, avoir une séparation entre le lieu d’entraînement, et un vrai lieu de vie pour l’équipe et son staff. Le point fort, cependant, c’est que cela permet de pouvoir débriefer (et donc corriger les erreurs) dans de bonnes conditions puisqu’encore une fois, si tu es chez toi, sur TeamSpeak, tu ne seras peut-être pas toujours très concentré et à l’écoute de tes coéquipiers. Aussi, cela permet d’effectuer un vrai travail sur l’aspect cohésion d’équipe, et sur l’envie de performer ensemble.
Egalement, j’ai l’impression qu’aujourd’hui avec le passage massif du off-line vers le on-line, il est plus difficile de développer ce côté « cohésion d’équipe », justement. L’impossibilité de pouvoir participer à beaucoup de LANs ne permettant pas non plus de pouvoir appréhender plus facilement l’aspect « pression » du jeu, selon-moi. A mon époque, internet cela représentait un peu l’entraînement en « petit bassin », avant de passer dans le grand bain… tu en penses en quoi ?
Sincèrement ? Je pense que tu as clairement raison, clairement. Comme tu le dis, il faut vraiment vivre ces moments ensemble et se rendre compte qu’un type n’est pas forcément comme toi au quotidien pour progresser ensemble. Il faut ces petits moments de « vie », et surtout ne pas s’arrêter seulement au jeu. Je suis vraiment persuadé que les équipes qui percent sur le top inter, elles ont trouvé un vrai équilibre entre cohésion de groupe, et style de jeu. Certains vont s’inviter à un mariage, à une soirée, à un repas : c’est hyper important ce genre de moments de partage pour un groupe.
On a pu le constater récemment avec la victoire de l’équipe de France durant la Coupe du Monde. Didier Deschamps est vraiment parvenu à développer une synergie positive avec son groupe. Vicente Del Bosque disait souvent : « Ce n’est pas le meilleur groupe qui gagne à la fin, mais celui qui vit le mieux ensemble »
Bien sûr… le groupe était tellement soudé - que même dans la galère, les mecs étaient prêts à se sacrifier sur le terrain les uns pour les autres. Et c’est ça, la mentalité d’une vraie équipe.
Interview réalisée par Philippe "faculty" Rodier, ancien joueur 1.6 et auteur de "Jouez sérieux. Le phénomène esport raconté par les gamers".